Sens de lecture

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lundi 28 décembre 2009

Concupiscent

Il y a des jours comme ça où il  vaudrait mieux ne pas se lever le matin. Mais pourquoi diable ce mot m'est venu en tête ?

Si je tente l'explication, je risque de me faire rappeler à l'ordre par mon hébergeur pour ne pas avoir interdit le blog à un public mineur.
Les ligues de vertus risquent de me tomber sur le dos, je vais encore finir menottes aux poignets dans le box des accusés. Avec la chance que j'ai l'Etat va se porter partie civile, et dans une société politiquement correcte comme la notre je vais finir aux galères boulet au pied, voire au bagne !

Et ce qui me désole le plus dans tout ça, c'est que vous lecteurs vous n'avez pas une once de compassion au regard des risques que je prends. Bien sûr pour vous le bagne ça ne veut rien dire, juste une information dans un journal télévisé ânnoné par une image de synthèse.
Ah vous ne saviez pas ?
Si ! C'est plus propre, plus lisse, insignifiant et interchangeable l'image de synthèse, un journaliste c'est plus compliqué à gérer. Un journaliste, ça fume, ça boit, il parait même que certains inconscients vont sur le terrain faire des enquêtes. Mais bon c'est comme tout en ce moment,  les petits métiers sont en voie de disparition.
Aujourd'hui les images de synthèse n'ont pas besoin de faire des écoles de journalisme, ils ou elles font des écoles de Miss, où on leur apprend à  avoir tous le même sourire, à tous cligner des yeux au même moment, et à parler d'une façon monocorde, sans la moindre intonation des fois que le téléspectateur dans un sursaut de lucidité en déduise quelque chose.

Voilà ami lecteur, tu m'entraînes dans une digression  impossible à conclure.

Bien sûr c'est facile pour toi, tu vas cliquer sur la flèche arrière de ton navigateur internet, mais moi je reste tout seul face au Président du tribunal. Et je lui dit quoi ?
Que le préfixe con signifie avec ? Nous voilà bien.
Immédiatement il me rétorquera " Peut-être mon ami mais j'attends la suite, car vous allez vous retrouver en face d'une impossibilité physiologique".
Je dois reconnaître que le président du tribunal n'a pas tort.
Y a-t-il un chirurgien dans la salle pour m'aider ?
Et pourquoi je serai le seul à me retrouver face au Président du tribunal ?

Tu viens de rentrer de ton travail dans ta berline allemande, tu bois un Haut Médoc de 2001, ton épouse t'informe que vous partez aux Seychelles pour Pâques, et tu n'as d'yeux que pour la sculpturale ingénieure allemande qui est arrivée il y a deux mois dans le service.
Et tu as besoin de lire mon billet pour connaître la signification de concupiscent ?

C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
En même temps tu me diras c'est normal, ça ne va guère de paire la concupiscence et la charité.

Le Colvert

Colvert. Je ne sais pas vous, mais moi colvert ça me fait immanquablement penser à un habit de cérémonie, un queue de pie par exemple, ce qui est un comble pour un colvert.
Un habit de cérémonie vert, je n'en vois qu'un, la tenue des académiciens.
- Quel est le rapport ?
- Et bien un col vert et une queue de pie.
- Ce n'est pas un peu hasardeux comme explication ?
- Je te trouve sévère. Est-ce que sans la brillante démonstration qui précède tu aurais pu spontanément dire que les Immortels sont de drôles d'oiseaux ?

jeudi 5 novembre 2009

Le pisse froid

Le pisse froid est vraiment compassé.

Pourquoi passé ?

Le monte en l'air

Quelle drôle d'expression.

Comme s'il était possible de descendre en l'air ! On monte en l'air et on descend en terre.
On parle souvent du monte en l'air mais jamais du  descend en terre, ce qui au fond est bien normal, car on n'est plus là pour en parler, si on est un descend en terre ça signifie qu'on est mort.

Le monte en l'air est une espèce de cambrioleur qui utilise les façades des demeures pour grimper et accéder aux intérieurs par les toits ou les fenêtres sans réveiller ses victimes, nous dit le dictionnaire.
Voilà une définition bien laconique pour une réalité qui l'est beaucoup moins.

Parce que vous croyez que le monte en l'air utilise les façades par plaisir ? Que nenni !
Avec la dérive sécuritaire aujourd'hui, on met des digicodes partout, et des portes blindées y compris aux placards, des fois que les enfants accéderaient au pot de nutella.

Cette évolution tue les petits métiers, et le cambrioleur est devenu monte en l'air la mort dans l'âme.
Nous y voilà, la mort, on peut donc en conclure qu'il y a du descend en terre chez le monte en l'air.
Vous qui me lisez avec vos principes moraux, je vous trouve d'une ingratitude folle.

Vous vous indignez. Mais qui vous a débarrassé du vase made in china avec les effigies de la Sainte Vierge que tata Jacqueline a gagné dans une kermesse à Lourdes et qu'elle vous a généreusement offert, qui ?
Et qui, dans la précipitation a glissé dans son sac le magnifique cendrier en coquillages qui se décollent offert par votre petit neveu Brandon ( votre sœur en effet passe beaucoup de temps devant les feuilletons américains), qui ?

Alors un ton plus bas s'il vous plait quand vous jugez de la moralité de ce petit billet.
Je vais aller plus loin et le dire clairement, monte en l'air ce n'est pas un métier...c'est un sacerdoce.
Ah non dites-vous ?

Et bien que faut-il penser alors de l'abnégation de cet homme qui avançant en âge et en rhumatismes continue à escalader la façade au péril de sa vie pour accomplir sa vocation ?
Vous y avez pensé, vous ?
Vous serez bien avancé s'il tombe. Qui vous débarrassera du vase de tata Jacqueline et du cendrier de Brandon ?
Je vous le demande.

Alors un peu de respect s'il vous plait pour ces petits métiers forts méconnus voire méprisés. Au risque d'être brutal je vous le dis sans ambages, quand le monte en l'air deviendra un descend en terre, il ne vous restera que vos yeux pour pleurer, mais ça sera trop tard.

Possible

Le tout est possible bien souvent est le cache misère du rien n'est faisable.

mercredi 4 novembre 2009

Materner

Je me suis souvent demandé comment s'écrivait le verbe materner, j'ai fini par trouver. La première lettre du mot est un grand Aime.

lundi 2 novembre 2009

Le pisse en l'air

Ça fait franchement mauvais genre d'être un pisse en l'air quand on n'est pas aux commandes d'un canon de 75.



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Nota : pisse en l'air est le surnom donné aux soldats de l'artillerie

dimanche 1 novembre 2009

Le suicide de l'oeuf

L'œuf en avait franchement marre, jamais considéré. Il n'y en avait que pour la meringue ou la mayonnaise.
 Mais au fond que seraient-elles sans lui ?

L'œuf se pencha par la fenêtre pour jeter un coup d'œil dans le jardin. Il la vit cette mère ingrate qui caquetait au milieu de la basse cour, toujours entrain de se faire remarquer de tirer la couverture à elle.

Elle avait beau s'agiter comme un beau diable (tiens encore une injustice, on n'a pas le droit peut-être de s'agiter comme un diable moche ?),  la question n'avait jamais été tranchée.
Qui de la poule ou de l'œuf apparut en premier.

Mais Madame faisait comme si.... Pour un peu, à la voir faire, on se serait cru dans Desperate housewive.
La vie décidément était trop injuste, elle pérorait dehors au soleil et lui se morfondait dans le noir et le froid coincé dans une boîte en carton.
On le sollicitait sans cesse pour produire, ces stupides meringues et mayonnaise, mais aussi gâteaux, sauces, et autres fadaises. Le seul bon moment c'était le lait de poule, où le très entreprenant rhum de la Réunion lui mettait des étoiles dans la tête en s'unissant à lui.
Mais c'était tellement rare avec la dictature du politiquement correct qu'il en était désormais convaincu, la vie n'avait plus guère d'intérêt.
Il sentit la chaleur intense monter jusqu'à lui. La poêle était brûlante. Il se laissa alors tomber dans le vide. Ce fut rapide. D'abord le fracas de la coquille qui éclate, puis le crépitement, et le feu le saisit instantanément.

Il n'a pas souffert. Et dire que ça ne ferait même pas un entrefilet dans le journal. Le plus injuste dans tout ça c'était l'indifférence générale, tout le monde se fichait bien pas mal des souffrances existentielles d'un œuf.

Heureusement pour lui, il n'était plus là pour le voir.


samedi 31 octobre 2009

Les Petex - Ra

Les Petex -Ra, mais que sont -ce ?
Ah tu ne sais pas ?
Simple, c'est un néologisme crée sur l'acronyme PTRA.
Qui signifie ?
Petits textes ridicules et absurdes.
Et bien voilà ! dis le, c'est tellement plus simple !
Non je ne peux pas.
Et pourquoi ?
Parce que c'est tellement tendaaaaaance de créer un néologisme incompréhensible.
Et il faut être tendance ?
Bien sûr, c'est le prix à payer pour être sur facebook.
Et pourquoi les Petex-Ra de Luc ?
Pour dire la vérité, j'avais pensé les appeler les Petex-Ra d'Angérrand, mais ça ne fonctionnait pas car je n'ai pas envie de mourir au fin fond de la Hongrie (comprenne qui peut ;-) ) et d'autre part je m'appelle Luc.
Autrement dit tu veux faire ton show ?
Oui, enfin je vais essayer.
Pourquoi ?
Parce que, j'aurai voulu être un artiiiiiiiiiiiiiiiste pour pouvoir faire mon numérooooooooooo quand ma Simca 1000 roule dans Ingersheim ou  Haguenau *!!!

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* Note de la rédaction : L'auteur nous prie d'insérer qu'il n'y a pas que les québécois qui ont le droit de faire leur show, les alsaciens aussi.

vendredi 30 octobre 2009

Désir

J’ai envie de la prendre dans mes bras mais je ne veux pas la réveiller.


Son souffle est calme et tranquille. Sa poitrine se soulève lentement au rythme de sa respiration. Sa nudité me rassure.  Une perle de sueur glisse lentement vers son nombril et se perd dans des méandres inconnus.

Un rai de lumière se faufile entre les persiennes à demi closes, et vient effleurer sa bouche charnue et douce. Il accroche sa chevelure blonde et glisse lentement vers son cou subtil et fin. Cette lumière légère accroche au passage  durant un instant, l’arrondi de son épaule émouvante.

Un léger sourire se dessine sur son visage. Depuis son rêve lointain, imagine-t-elle que je la contemple ?
Ma main se tend vers le vide et son ombre caresse subtilement la soie de sa peau,  je me sens apaisé.

Je ne sais pas si le monde existe mais l’instant lui, est bien réel. Je me penche et ma bouche effleure son épaule dénudée. Je suis alors sous le charme de son odeur et de son parfum mêlé. Cet enivrant cocktail éveille mon désir, ma force de vie.

Dehors, la brise de mer apporte le parfum du jasmin. Et je me laisse aller à une langueur subtile et gourmande.

J’ai envie de la prendre dans mes bras, mais je ne veux pas la réveiller.

La chaleur envahit la pièce de sa lourde sensualité et j’aimerai la caresser, dessiner de mes mains des volutes langoureuses. 
Paisiblement, au fil des semaines elle s’est installée en moi, et c’est volontairement que j’ai laissé cet état exister.

J’ai envie de la prendre dans mes bras mais je ne veux pas la réveiller.

Son corps en cet instant est l’âtre rassembleur et apaisant. Je découvre ma vérité contre sa peau délicate comme un biscuit de Saxe. Sa chair est mon tapis de prière à la vie.

Elle vient de se tourner lentement, pourvu qu’elle ne se réveille pas. Elle se niche contre mon épaule et prend ma main.  Je sens ses seins lourds venir s’appuyer contre mon flanc. Sa chaleur, son odeur et sa main attise mon désir.

J’aimerai l’embrasser et appuyer mon sexe dressé contre son ventre, mais je ne le peux pas, elle dort…et je le fais. Contre son ventre je suis à la porte de mon foyer.
J’aime le chemin de ma bouche sur ses seins et qui poursuit son voyage jusqu’à la seule vérité qui vaille. J’ai envie de la toucher, de la goûter dans sa subtilité la plus intime.

J’ai envie de me lover en elle, de cet instant où les souffles se mêlent, où la chaleur brûlante et moite d’un été éternel fait croire que l’instant devient permanence.
J’ai envie de sa peau, de sa féminité, de son odeur, de son désir, mais je ne le peux, elle dort.

J’ai envie de la prendre dans mes bras mais je ne veux pas la réveiller.

Je dois attendre patiemment son réveil comme une friandise espérée. Seul son éveil permettra l’union des corps, mais pas un réveil forcé. Je me cale contre elle dans la patience d'un désir si fort qu’il en devient souffrance.


J’ai envie de la prendre dans mes bras mais je ne veux pas la réveiller.

Les chiens, les loups, les chats, les ours, et les autres.

En d’autres temps on aurait appelé cela un bestiaire méditaire. Je ne m’intéresse guère aux animaux, adieu chats, chiens, loups, ours, couvées.
Où est la vie dans la description du bestiaire, représentation rêvée d’un idéal imparfait. Car seule l’imperfection l’est par l’espérance de bonification qu’elle engendre.

Je n’aime pas les chiens car je n’ai pas vocation à porter un collier et une laisse. Je ne suis pas suffisamment policé pour m’identifier à un canidé. On ne dresse pas les animaux comme moi.

Je ne suis pas un loup. J’ai trop d’orgueil pour être un prédateur subalterne.
Je ne me peux me contenter de ces agneaux apeurés que les hommes m’offrent à leur corps défendant. Je ne me fonds pas dans les bois, pour parcourir les contrées en semant la désolation. Source de fantasmes par le mystère que je répands pour qui veut s’en saisir pour son plus grand frisson, et qui ne me concerne pas. Je ne suis pas suffisamment mystérieux pour m’identifier à un loup. On n’apprivoise pas les animaux comme moi, seule une certitude fantasmée peut le faire croire.

Je n’aime pas les chats, désuets depuis que le dernier pharaon a quitté cette terre. Je ne fais pas semblant d’être autonome en chassant des souris la nuit pour avoir ma coupelle de lait et mon radiateur pour me blottir. Je ne suis pas suffisamment opportuniste pour accréditer l’idée de mon autonomie en quémandant ma sécurité.

Je n’aime guère les ours car je n’ai rien d’un tueur débonnaire, qui cacherait derrière une douce fourrure sa monstruosité. Prêt à s’adonner à des gesticulations absurdes contre un pot de miel, aux sons de grelots ridicules qui scandent ce que certains appellent une danse. On ne dompte pas les tueurs débonnaires à la douce fourrure, c’est une illusion que seul l’esprit engendre.

Je n’aime guère les renards, mais devrais-je passer sur ce réprouvé porteur de rage depuis qu’il a cessé d’être goupil. Les charognes et les restes ne peuvent constituer mon ordinaire.
Alors c’est tout ou rien ? Non ce n’est jamais tout ou rien, pas davantage que l’à peu près.
J’ai perdu toute dignité en me prostituant pour un camembert oublié. Dans un bestiaire je n’ai guère d’intérêt.

Alors il me plait de caresser le fantasme de l’orque qui ne s’apprivoise, ne se dompte, ne se dresse mais se laisse approcher parce qu’il le décide. Je suis l’orque parce que seul l’océan sans limite est à ma mesure.

Je ne parle pas de civilisation, je ne théorise pas sur les valeurs de la vie, j’éduque mes petits dans des écoles ou l’apprentissage se fait par l’exemple pour les faire grandir, je construis ma famille comme un clan à protéger et protecteur, j’aime ma compagne jusqu’à mon dernier souffle, je suis relié aux autres pour la chasse, pour apaiser le chagrin, pour jouer, et pour le plaisir d’être.

Le bénéfice secret, clé explicative des comportements n’existe pas, je suis ou je ne suis pas, on prend ou on laisse, j’ignore le mystère et  l’opportunisme, mes valeurs sont autres et dans une autre dimension.
Je ne force personne, je n’oblige personne mais on ne me modèle pas.

Il parait que là bas très loin sur la  terre que j’ai quitté il y a bien longtemps, les amérindiens du bord de mer énoncent que chaque fois qu’un petit d’homme nait, nait dans la mer un orque qui est son frère. Ceux qui croient en ce qui parait être une légende ont raison, mais ils ont beaucoup de travail à faire avant que nous nous révélions à eux.
Je ne peux être celui qui devient car je suis celui qui est dans la permanence de l’instant seule dimension de l’éternité.

Encore un coup de caudale, et je serai à ma place, c’est à mon tour à présent d’être en périphérie du groupe pour en être la sentinelle. Je flotte à tout jamais dans cet univers liquide et enveloppant sans autre besoin que de suivre ma lumière bleue océane.

Une petite note


Quarante cinq jours, ou mois, ou ans peu importe, sans composer une note. Mon piano restait muet. C’est peu de choses, aligner des notes sur un piano. Pourtant comme tout acte désintéressé, il est rigoureusement indispensable.

Pour un musicien enchaîner les notes, c’est la certitude que l’on est vivant, c’est l’instant de ce son qui se prolonge jusqu’à ne plus l’entendre pour devenir éternité.
Aligner des notes c’est effleurer la partition de la vie, celle faites de contre points et d’arpèges.
Je ne parvenais plus à effleurer la partition de la vie.
Je pensais Do là où il fallait Mi et je faisais Ré quand on attendait Fa. Mes doigts gourds ne trouvaient plus leur rythme naturel sur les touches d’ébène et d’ivoire. Je m’appliquais pourtant à faire mes gammes, mais j’étais devenu mécanique et sans âme. Hologramme de moi-même mes notes devenaient un succédané de musique.

Quel crime avais-je commis pour être à ce point hors de la vie ? Existait-il un instant plus sacré que contempler un enfant rire et danser ? Existait-il plus important que la floraison des cerisiers au printemps ? Existait-il plus essentiel que l’alizé qui vient caresser les corps un soir d’été au bord de mer ? Existait-il plus vital que le sourire d’une femme ?
Pourquoi étais-je hors du mouvement de la vie ?

Un frôlement léger se fit entendre. Sans crier gare, sans le savoir elle apparut là devant moi, doucement, tranquillement. Elle s’assit à mes côtés face au piano. Je ne la connaissais pas et pourtant elle m’était familière. Elle me regarda, enjouée, puis mit ses mains sur le clavier et se mit à jouer. Ca paraissait si facile. Je n’osais pas encore poser mes mains sur les touches. Elle me sourit et se remit à jouer. Au-delà des apparences, je sentais se dégager d’elle une élégante douceur.

Elle me sourit à nouveau, ses fossettes lui conféraient une grâce infinie.
Elle prit alors mes mains et les posa sur le clavier. Elle donna une légère impulsion à mes doigts, puis une deuxième, et enfin une troisième. J’éprouvais soudainement une sensation curieuse, un peu comme si je sentais mon sang circuler dans mes veines, mais c’était autre chose. La vie revenait. Soudain mes doigts se mirent à danser sur les touches de la vie et la symphonie jaillit en une cascade de fleurs oniriques qui lui était dédiée, elle la magicienne.

En cet instant elle se confondait à la musique, elle devenait musique, elle était musique. L’éphémère s’arrêtait car le temps perdait sa signification. Elle m’avait conduit ailleurs, face à la porte de ce lieu sacré, ce lieu qui révèle à l’homme sa pleine dimension d’homme. J’avais atteint ce lieu mythique que certains appellent cœur à défaut de pouvoir nommer ce que l’on n’appréhende pas. Il se révèle rarement, quelque fois on croit le voir mais il s’agit de son mirage. Quand on y est réellement on le sait. L’homme est un cœur et seule une femme en est la clé.
Clé de Sol, clé de Fa, je ne sais ce qu’elle était, mais elle avait ouvert la porte qui permet d’entrer à nouveau dans la ronde de la vie.

Je la pris dans mes bras et mes mains continuèrent leur danse sur le clavier. Elle venait de me donner sans le savoir, le mouvement de la vie. Que pouvais-je lui donner ?
L’aimer, ça ne suffit pas. Aimer est une base indispensable, essentielle pour construire, pour entretenir l’étincelle, mais il faut un peu de don de soi pour construire avec l’autre.
Aimer n’est pas la conjugaison à l’imparfait de deux égoïsmes, aimer c’est renoncer un peu pour obtenir beaucoup. Ma musique désormais chantera son nom.
Je créerai des symphonies qui seront autant de louanges à sa grâce. Pour elle, j’inventerai des notes qui n’existent pas et qui seront les orgasmes d’une partition nouvelle.

Elle s’écarta de moi et la vie m’abandonna. La musique devenait lointaine. Elle me sourit, que Dieu me pardonne ma béatitude mais il n’y a rien au dessus de ce sourire, et se rapprocha et la mélopée s’amplifia. Elle se blottit contre moi, et mes mains se posèrent sur la soie rare et précieuse de sa peau. Son parfum et son odeur m’enveloppèrent. Elle s’appuya contre moi comme pour y trouver sa place, un peu comme le fait un enfant que l’on porte dans ses bras. A tout moment elle pouvait se lever et s’en aller, c’était sa liberté. Mais elle était là.

Femme parmi les femmes. Femmes comme les autres femmes, avec ses joies et ses peines, avec ses espoirs et ses déceptions, avec ses qualités et ses défauts. Pas différente des autres, et tellement unique. Elle était l’eau, douce et tendre comme la vague au sein de laquelle on plonge pour retrouver sa vérité essentielle. Elle était l’eau forte et déterminée qui fait rouler les billes de bois. Elle était l’eau qui punit les imprudents. Elle était l’eau porteuse de vie et m’avait fait revenir d’un monde verrouillé.

J’avais peur d’abandonner mes défenses, j’avais peur de baisser le bouclier, pourtant quelque chose me poussait à le faire. Je savais que là où elle était il n’y avait pas de danger pour moi. Elle avait ouvert la porte du cœur et je la laissais faire. Enfin, je m’abandonnais en confiance. La vie n’est pas la vie si on ne peut faire confiance. C’est son cœur qui avait ouvert mon cœur, de lieu mythique à lieu mythique. Mais pouvait- elle m’ouvrir le sien ?

La musique mezzo forte s’envola vers d’autres cieux Nous étions simplement là dans l’instant dans les bras l’un de l’autre. Et au fond peut-être que Dante avait raison quand il écrivit : c’est l’amour qui orchestre le ballet du soleil et des étoiles.

Tango


Atmosphère enfumée, atmosphère enfiévrée.
Le lieu était fermé mais on n’y parquait plus d’esclaves, et il ne restait que son nom popularisé par Carlos Gardel.
Pourtant c’était le bandonéon langoureux et dramatique d’Anibal Troilo qui faisait valoir ses accords.
Une mondaine des salons européens aurait-elle forniqué sans retenue avec un puissant esclave venu des lointaines terres d’Afrique?
Peu importe l’origine de ces glissements qui se transforment en frôlements porteurs des désirs les plus profonds.
Nous n’étions pas sur la piste de Boca Juniors, et alors?
La magie a-t-telle besoin de lieux pour s’exercer où se révèle-t-elle dans une vérité de l’instant?
Les danseurs se déplacent selon des codes auxquels je ne comprends rien. Deux temps, quatre temps, va savoir. Je remue mon verre, vingt trois heures. C’était l’heure d’un robustos de Cohiba. J’aimais ces puros à la couleur colorado maduro.
Non, je ne respectais pas le rituel désuet des allumettes pour allumer mon havane. Les briquets à gaz rendaient cette pratique inutile. Je me contentais de l’étêter d’un coup sec avec ma guillotine.
Je me sentais détendu. Un havane, un verre de rhum vieux, curieux que dans ce petit caboulot sans prétention le serveur put me proposer un Jean Châtel de l’île de la Réunion. Les hauts parleurs n’en finissaient pas de diffuser ce tango.
J’avais atterri là par hasard. Mais le hasard n’est-il pas le frère antagoniste de l’acte manqué?
Plus on avançait en heure et plus les danseurs semblaient aguerris.
Elle apparut dans sa robe noire serrée. Ses cheveux d’un blond vénitien contrastaient singulièrement avec l’image que l’on se fait d’une danseuse de tango, forcément brune et ténébreuse.


Connaissait-elle son partenaire depuis longtemps? J’imaginais que non, il semblait presque un peu intimidé. Il la conduisait fermement et le déhanché de la femme menait la ronde des corps, mais il maintenait comme une distance.
Elle n’était pas rioplatense pourtant elle glissait langoureusement sur le parquet vernissé comme une fille de Buenos Aires.
J’étais fasciné par sa robe qui enserrait sa chute de rein comme une seconde peau. Elle bascula dans les bras de son partenaire, relevant la jambe comme l’exigeait le rituel, et la robe fendue révéla sa chair gainée de bas.
Quelques gouttes de sueur perlaient à ses tempes. Elle avait chaud, ses cheveux apparaissaient plus sombres vers son front. Son regard profond était ailleurs, elle regardait son partenaire sans vraiment le voir.
Et puis comme ça, juste comme ça, ils trouvèrent leur accord, l’accord du rythme, l’accord des corps.
Et ils s’épousèrent, se mêlèrent jusqu’à ne faire plus qu’un. Main fiévreuse qui prend possession d’une fesse, bras qui se tendent comme des arches reliant deux corps. Bouches qui se cherchent sans jamais se toucher, la ronde ritualisée se déroulait selon des codes qui m’étaient étrangers.
Il parait que la danse est un prélude vertical à l’aventure horizontale, alors je n’aimais pas ce jeu de possession, de domination où l’un conduit l’autre sans savoir quel est le but à atteindre.
Mais j’étais fasciné par ces volutes impalpables qui se déroulaient devant moi.
Une fois, deux fois, le cavalier la rapprocha de lui. Ses cheveux blonds foncés virevoltaient au gré de ses mouvements.
La troisième fois le mouvement fut net et précis, sans retenue. Les deux corps s’emboîtèrent imperceptiblement l’un dans l’autre. Ils pivotèrent ensemble et elle l’éloigna de lui. Ils firent encore quelques pas et à l’instant même où il l’approcha à nouveau de lui, la musique s’arrêta.
Quand ils passèrent près de la table nos regards se croisèrent. Son regard profond se posa sur moi. 
Comment deux êtres qui avaient été aussi proches durant l’instant de la danse pouvaient à présent être de véritables étrangers l’un pour l’autre. Un mystère de plus que je n’éclaircirai pas tant les mystères revêtaient peu d’intérêt à mes yeux. Ils ne sont autres que le drapé de haute couture d’un mensonge qui ne révèle pas son nom.


Piazzolla avait remplacé Troilo. J’attaquais le troisième tiers du puros. Il était temps de le poser et de le laisser s’éteindre.
Je me levai puis allai au bar pour régler ma note.
Piazzolla était envoûtant. Je refermais la porte derrière moi sur les accords de ce bandonéon unique.
Le ciel étoilé guiderait sûrement mes pas vers la mer.